Collectionneurs de NFTs : quelle fiscalité appliquer sur les cessions futures ?

Les collectionneurs d’art qui souhaitent investir sur le marché en pleine expansion des NFTs (« Non-Fungible Tokens ») peuvent se trouver désarçonnés face aux modalités d’imposition des cessions ultérieures. À ce jour, les NFTs sont dans un no man’s land juridique. Toutefois, des pistes de réflexion sont envisageables pour dessiner les contours d’une fiscalité applicable.

Maître Jenna SCAGLIA, avocat fiscaliste (email : jscaglia.avocat@gmail.com, LinkedIn : Jenna SCAGLIA)

1. Les NFTs peuvent-ils être assimilés à des actifs numériques ?

Maître Jenna SCAGLIA, avocat fiscaliste

On serait tenté d’assimiler les NFTs aux actifs numériques définis à l’article L.54-10-1 du Code monétaire et financier (CMF), issu de la loi PACTE. En effet, s’ils ne peuvent être assimilés à des cryptoactifs de type Bitcoin du fait de leur absence de fongibilité (chaque NFT est unique et ne peut être interchangeable), on pourrait être tenté de les faire entrer dans la catégorie des jetons numériques définis à l’article L.552-2 du CMF : « Constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Dans cette hypothèse, en application de l’article 150 VH bis du Code général des impôts (CGI), les plus-values réalisées sont imposées à l’impôt sur le revenu (IR) au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% (12,8% d’IR + 17,2% de prélèvements sociaux), à l’exception d’une exonération pour les cessions n’excédant pas 305 € par an. Un amendement a été adopté dans le cadre du Projet de Loi de finances pour 2022 afin de permettre une option pour l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu (actuellement en discussion devant le Parlement). En outre, seule la conversion en monnaie fiat, en dehors des échanges sur la blockchain, sera taxable.

À noter que ces modalités d’imposition ne s’appliquent que dans le cadre de la gestion privée d’un patrimoine. En revanche, s’il s’agit d’opérations à titre habituel ayant un caractère professionnel (achat-revente), les cessions devraient rentrer dans le champ des BIC (bénéfices industriels et commerciaux).

Cette assimilation aux actifs numériques du CMF demeure toutefois plus que discutable en ce que la notion de droits octroyés par les NFTs fait débat et leur rattachement à des actifs financiers est également contestable.

2. Les NFTs peuvent-ils être assimilés à une œuvre d’art ?

Appréhender les NFTs en tant qu’œuvre d’art pourrait être avantageux au plan fiscal puisque les ventes d’objets d’art sont taxées forfaitairement à 6,5% du prix de vente (6% + 0,5% de CRDS), conformément à l’article 150 VI du CGI. Une telle qualification pourrait avoir en outre des répercussions sur le taux de TVA applicable (5,5%), la possibilité pour les entreprises de déduire les frais d’acquisition ou d’être éligibles à la réduction d’impôt mécénat, etc.

Là encore, cette assimilation est questionnable, car le NFT pourrait être assimilé au certificat d’authenticité de l’œuvre plutôt qu’à son support. En outre, la notion d’œuvre d’art au sens du droit fiscal est définie de façon limitative avec une liste à la Prévert (énoncée à l’article 98 A de l’Annexe III au CGI) qui ne permet pas d’englober à ce jour les NFTs.

3. Les NFTs peuvent-ils qualifier plus communément de biens meubles ?

C’est la solution qui semble être à privilégier en l’état actuel du droit. En effet, les NFTs sont des biens meubles incorporels au sens du droit civil. Cette assimilation avait déjà été retenue par la jurisprudence (décision du Conseil d’État en date du 25 avril 2018) concernant les actifs numériques avant que ceux-ci soient définis par la loi PACTE et soumis à un régime fiscal propre (décrit ci-dessus).

Ainsi, le régime des cessions de biens meubles défini à l’article 150 UA du CGI serait applicable, ce qui emporterait une imposition de la plus-value réalisée à un taux global de 36,2% (19% + 17,2% de prélèvements sociaux). Toutefois, il est possible de bénéficier d’un abattement de 5% par année de détention (au-delà de la deuxième année, soit une exonération au bout de 22 ans). Par ailleurs, les cessions d’un montant inférieur à 5 000 € sont exonérées. En revanche, tout transfert de propriété (et donc tout échange entre cryptoactifs) sera taxable et non simplement la conversion en monnaie fiat.

Toutefois, une attention particulière doit être portée aux fréquences des opérations réalisées. Un collectionneur pourrait voir sa gestion qualifiée d’activité professionnelle s’il s’adonne à une activité d’achat-revente à titre habituel dans un but spéculatif. Dans cette hypothèse, il pourrait voir cette activité imposée à l’impôt sur le revenu au barème progressif dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) prévue à l’article 34 du CGI, avec la possibilité de bénéficier d’un abattement forfaitaire selon le chiffre d’affaires réalisé (régime du micro-BIC). Une telle activité pourrait engendrer d’autres conséquences au regard de la TVA, des cotisations sociales, ainsi que la nécessité de créer une entreprise, de tenir une comptabilité et d’adhérer le cas échéant à un organisme de gestion agrée (afin d’éviter une majoration de 15% du bénéfice taxable pour l’année 2021), etc. Un véritable imbroglio fiscal, comptable et social à anticiper !

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Le flou juridique qui entoure les NFTs doit inciter les collectionneurs à la plus grande prudence sur le régime fiscal appliqué en cas de cession, d’autant plus que le rattachement à une catégorie juridique plutôt qu’une autre influe non seulement sur le taux applicable, mais aussi sur l’assiette d’imposition. Le législateur a été alerté sur la nécessité d’apporter un éclaircissement afin de sécuriser les transactions sur ces actifs virtuels. Récemment, un amendement avait été déposé dans le cadre du Projet de loi de finances 2022 pour créer un régime ad hoc et taxer les NFTs selon l’actif sous-jacent ; celui-ci a finalement été retiré en l’absence de définition juridique précise. Une clarification serait bienvenue pour permettre l’essor d’une nouvelle forme d’art numérique. Affaire à suivre !

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