L'addiction dans les enchères et les outils pour y faire face

Les ventes aux enchères peuvent devenir une véritable addiction aux conséquences délétères sur la situation financière et la vie personnelle des enchérisseurs compulsifs. Cette pathologie, médicalement reconnue comme une addiction comportementale, nécessite un accompagnement adapté. Des solutions thérapeutiques et juridiques existent pour aider les personnes concernées.

Par Julie ALMOUZNI, publié le 26 octobre 2024

Facteurs déclencheurs, symptômes et conséquences

D’un point de vue scientifique et médical, l’addiction est une pathologie définie par une dépendance à une activité (pour ce qui concerne notre domaine des ventes aux enchères publiques) avec des conséquences délétères.

Les ventes aux enchères attirent de nombreux participants en quête de bonnes affaires, de trésors cachés ou d’objets de collection rares. Cependant, pour certains acheteurs, cette activité peut devenir une véritable addiction entraînant des conséquences négatives sur leur vie personnelle et impacter leur situation financière.

L’addiction aux ventes aux enchères est une addiction comportementale qui remplit les onze critères de l’addiction du DSM V (manuel répertoriant des critères bien définis par les instances internationales de santé mentale)  de l’Américan Psychiatric Association, parmi lesquels on peut citer le besoin impérieux et irrésistible de jouer, appelé « craving », la perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié au jeu (enchère)  et la présence d’un syndrome de sevrage, c’est à dire l’ensemble des symptômes provoqués par l’arrêt brutal du jeu.

La prévalence du jeu d’argent pathologique en France (dont fait partie l’addiction aux enchères) est de 0,5% , et environ 40% du chiffre d’affaire des jeux d’argent est généré par l’activité des joueurs pathologiques et à risque.

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à l’addiction aux ventes aux enchères : la recherche de sensations, l’attrait de bonnes affaires, la pression sociale ressentie lors des enchères en direct ou encore le besoin de reconnaissance.

Pour certains, remporter une enchère peut en effet être perçu comme une valorisation personnelle ou comme un signe de statut social.  

Mais il est important de souligner que l’addiction aux enchères, comme toutes formes d’addictions, est d’origine multifactorielle, selon un modèle bio-psycho-social. Il existe des facteurs de prédispositions génétiques, mais aussi d’autres facteurs de risques individuels (sexe, âge, traits de personnalité de type recherche de sensations fortes ou impulsivité). Les autres facteurs de risques ou de vulnérabilité sont les comorbidités psychiatriques (troubles de l’humeur, troubles anxieux, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, trouble de la personnalité antisociale), les comorbidités addictives (troubles de l’usage de substances, autres addictions comportementales), ainsi que d’autres facteurs individuels ou environnementaux (début précoce du comportement, forte disponibilité, faible coût, milieu parental et usage par les parents, comportements des pairs, échec solaire, évènements de vie stressant , traumatismes physiques et psychiques, violences familiales).

Les mécanismes de l’addiction impliquent également plusieurs systèmes neurobiologiques, le principal étant le système dopaminergique de la récompense.

L’addiction aux ventes aux enchères peut avoir des répercussions graves sur la vie d’un individu. Ces conséquences peuvent être financières, les enchérisseurs compulsifs pouvant accumuler des dettes importantes en raison de leurs achats impulsifs. Elles peuvent également être relationnelles, puisque les proches peuvent s’inquiéter du comportement d’enchère de l’individu, ce qui peut créer des tensions et des conflits au sein des relations. Enfin, cette addiction peut aussi affecter la santé mentale, provoquant des sentiments de culpabilité, d’anxiété ou de dépression.

Prévention et traitement – aspects juridiques et responsabilité des plateformes

Il est donc essentiel de reconnaître le problème et d’agir pour le surmonter. La première étape est d’en prendre conscience, puis d’établir un budget afin de fixer des limites claires sur ce que l’on est prêt à dépenser lors d’une vente aux enchères. Il est aussi très important de chercher du soutien. Même si aucun traitement pharmacologique n’a d’autorisation médicale de mise sur le marché dans le traitement des troubles addictifs aux jeux, il existe des psychothérapies. L ‘entretien motivationnel et les thérapies cognitivo-comportementales ont fait la preuve de leur efficacité. Par ailleurs, les associations de joueurs pathologiques, les forums de joueurs et le soutien de pairs sont des moyens thérapeutiques utiles. Les manuels de self-help semblent utiles aux sujets peu désireux de s’engager dans des soins, ou trop éloignés d’un lieu de soins, ou en association à un soin avec un professionnel.

Il est possible de consulter des médecins généralistes mais également des CSAPA (centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie) qui disposent d’équipes pluridisciplinaires composées de médecins, psychologues et professionnels socio-éducatifs. Ces centres accueillent toute personne en difficulté avec ses consommations (substances = alcool, tabac, cannabis, opiacés, ou autres) ou ayant une conduite addictive (jeux, internet, vente aux enchères) ainsi que leurs proches. L’addiction aux enchères peut également être soignée dans des structures hospitalières, via le biais de consultations d’addictologie, des ELSA (équipe de liaison et de soin en addictologie) ou en hôpital de jour. Suite à une hospitalisation, les soins de suite et de réadaptation addictologique (SSRA) ont pour objectif de prévenir ou de réduire les conséquences fonctionnelles, physiques, cognitives, psychologiques ou sociales des déficiences et des limitations de capacité des patients et de promouvoir leur réadaptation et leur réinsertion.  

L’addiction aux ventes aux enchères est donc un phénomène qui mérite d’être pris au sérieux. En comprenant ses causes et ses conséquences, il est possible de prendre des mesures pour y faire face. Si vous ou quelqu’un que vous connaissez lutte contre cette addiction, n’hésitez pas à chercher de l’aide. La prise de conscience et le soutien peuvent faire toute la différence dans la lutte contre cette dépendance.

Depuis quelques années en France, les domaines de la santé et de la justice expérimentent la manière dont une décision de justice peut engager des personnes multirécidivistes dans un parcours thérapeutique. Ces deux secteurs travaillent ensemble à travers des dispositifs dits de « justice résolutive de problèmes » (JRP)  et innovent dans l’accompagnement des personnes placées sous main de justice en favorisant des alternatives aux réponses pénales habituelles envers des personnes cumulant des facteurs de risque de récidive (addictions, troubles et difficultés divers).

Pour ce faire ces dispositifs doivent reposer sur des modalités de coopération santé-justice avec un renforcement de la participation de la personne vulnérable.

C’est ainsi que la Fédération Addiction a ouvert un espace de travail aux professionnels de l’addictologie impliqués dans ces expérimentations.

Ces dispositifs dits de JPR sont soutenus par le Ministre de la santé et de la prévention dans le cadre du plan gouvernemental de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et  Conduites Addictives (MILDECA).

De la même façon les plateformes de vente aux enchères en ligne doivent faire preuve de responsabilité et d’éthique en veillant à mettre en place des dispositifs de protection tels que des messages de prévention, la possibilité de s’auto-exclure pour une durée définie ou des dispositifs de contrôle d’une interdiction de participation des mineurs.

D’autant plus que la vente aux enchères déroge au droit de la consommation. En effet, à partir du moment ou l’adjudication est prononcée, l’acheteur devient propriétaire du lot et ne peut pas se prévaloir d’un droit de rétractation lors d’un achat aux enchères publiques même pour les enchères en ligne selon les dispositions de l’article L 221-28 alinéa 11 du code de la consommation.

Il existe toutefois une exception pour les ventes Chrono ou Online si le bien est vendu par un vendeur professionnel à un particulier. Dans ce cas l’acheteur dispose d’un délai de 14 jours à compter de la livraison pour retourner le bien dans le même état que lors de sa livraison.

Enfin, il  faut indiquer que l’écosystème des enchères règlementées propose deux bases de données pour bloquer les enchérisseurs défaillants : il s’agit du service TEMIS de la plateforme d’Interenchères mis en œuvre par la société Commissaires-Priseurs Multimédia « CPM » d’une part et de la base du SYMEV (syndicat des maisons de vente aux enchères) d’autre part.

Ces deux bases de données recensent  les incidents de paiement des bordereaux d’adjudication (retard et défauts de paiement), quel que soit le mode de participation des enchérisseurs, c’est à dire en présentiel ou à distance, de sorte que ces fichiers peuvent être consultés par toutes les structures de ventes aux enchères opérant en France et abonnés audits services.

Ces bases de données pourraient donc parfaitement être utilisées pour « blacklister » les enchérisseurs compulsifs (sur le fondement d’une décision de justice dans le cadre d’un dispositif JPR abordé plus haut par exemple ou par suite d’une auto-exclusion après une prise de conscience de la pathologie).

Sources :

- DSM V de l’American Psychiatric Association

- Presses universitaires François Rabelais. Référentiel de psychiatrie et addictologie. 3ème édition. 2020

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